Au Moyen Âge, la lingua franca était une langue simplifiée qui permet aux peuples de la Méditerranée de communiquer. Au XVIe siècle, quand les baleiniers basques rencontrent les Amérindiens du Canada, ils inventent un pidgin, le basco-algonquin, pour pouvoir commercer. Même chose durant la traite esclavagiste, entre maîtres et esclaves. Au fil des générations, certains pidgins s’enrichissent et deviennent de « vraies » langues maternelles : on parle alors de créoles.
Mais dans l’espace ? Dans l’ISS, les astronautes utilisent déjà une langue commune simplifiée, qui mêle l’anglais et le russe. Mais à force de travailler ensemble confinés durant des dizaines d’années, les astronautes russes, français, américains, chinois, sénégalais ou chiliens ne vont-ils pas donner naissance à une nouvelle langue ? Deux chercheurs du Near Future Laboratory, Nicolas Nova et Fabien Girardin, ont imaginé quelques mots de ce créole spatial.
À picorer :
Soudenba. Popularisé par des astronautes sénégalais dans les années 2030, ce mot sépare avec un peu de condescendance « ceux-d’en-bas » (restés sur terre) avec « ceux-d’en haut » (implicitement l’élite, le gratin).
« Dormez serrés ». Dans l’espace, pour se saluer le matin, on utilise le mot russe Privyet Привет. Mais en orbite, comme l’alternance nuit et jour dure parfois moins de 90 minutes, souhaiter une bonne nuit a perdu son sens. Au traditionnel Good night, on préfère Sleep tight, littéralement « dormez serré ». Cette expression — qui existe déjà en anglais et signifie « Dormez bien » — prend ici tout son sens, puisque les astronautes doivent amarrer solidement leurs sacs de couchage au mur ou au plafond pour éviter de partir à la dérive et passer une nuit paisible.
Sardinalert. Cette situation est courante dans l’espace, dans des bases et des vaisseaux souvent exigus. Sardinalert, c’est une sorte de Tetris humain : les spationautes sont si serrés qu’ils doivent trouver des postures acrobatiques pour éviter de se toucher. Imaginez-vous une partie de Twister dans le RER B à 7 heures du matin, le tout en apesanteur.
Zuótiān café 昨天的咖啡. Dans les infrastructures spatiales, toute l’eau est recyclée, aussi bien l’urine que les eaux usées. Pour désigner le mauvais goût de l’eau potable dû à ce recyclage intensif en circuit fermé, les astronautes ont inventé un néologisme : le Zuótiān café, le café d’hier (en mandarin).
Ovavioo. Ce mot indien est une variante de l’expression Overview Effect. Cet « effet de surplomb » a été théorisé par le philosophe Frank White en 1987. Il décrit une émotion bien réelle racontée par de nombreux astronautes : l’émotion très forte qui saisit celle et ceux qui découvrent notre planète depuis l’espace pour la première fois. C’est un émerveillement, un choc esthétique, une connexion profonde avec l’univers, une révélation sur la fragilité de la Terre et un besoin impérieux de la protéger.
👉 À lire ici (en anglais)
|