Mode d'emploi

Effet 3D. Chaussez vos lunettes, elles vont vous permettre de reproduire l’effet 3D du stéréoscope.

LE DÉBUT DE L’HISTOIRE

Le stéréoscope, la 3D du passé

Underwood & Underwood

L'ancêtre du métavers. Et si Mark Zuckerberg était en réalité un has-been ? À la fin de l’année dernière, le fondateur de Facebook a annoncé le lancement futur de son métavers, un monde virtuel en 3D. Sauf que ce monde virtuel a déjà existé… il y a 185 ans. Voici l’histoire de l’une des inventions technologiques les plus fascinantes : le stéréoscope.

L'invention. Tout commence en 1838 avec Charles Wheatstone. Ce scientifique britannique invente un appareil qui, par un jeu de miroirs, permet de restituer l’effet 3D. Son stéréoscope reprend ni plus ni moins le principe de la vision binoculaire : deux images côte à côte avec un léger décalage (les quelques centimètres entre nos deux yeux). C’est cet écartement qui force notre cerveau à créer l’effet de relief.

La révolution de la photo. Pour ses démos, Charles Wheatstone utilise des petits dessins et des formes géométriques simples. Pas très spectaculaire, pas d’effet Wahou ! Sauf qu’au même moment, une autre nouvelle technologie en plein essor va propulser le stéréoscope vers le succès : la photographie.

Le début du buzz. En 1849, le physicien écossais David Brewster perfectionne l’appareil et le simplifie. Et surtout, il s’associe avec des photographes français chevronnés. La magie opère. Le monde va alors entrer de plain-pied dans la 3D. En 1851, le stéréoscope remporte un très grand succès à l’Exposition universelle de Londres. La légende, invérifiable, dit que la reine Victoria devient une fan. C’est le début d’un buzz mondial de plusieurs décennies...

« L’esprit se fraye un chemin jusqu’au plus profond de l’image. Les branches décharnées d’un arbre au premier plan se précipitent vers nous comme si elles allaient nous arracher les yeux (…) Des milliers d’yeux avides se penchaient sur les trous du stéréoscope comme sur les lucarnes de l’infini. »

Charles Baudelaire, parlant du stéréoscope

Poète français (1821-1867)

EN IMMERSION

Des diableries très grinçantes

London Stereo Compagny

L’une des séries stéréoscopiques les plus anciennes et les plus connues est celle des diableries. Reprenant le motif historique de la danse macabre, ces saynètes sculptées en argile puis photographiées façon stéréo nous plongent en enfer. Mais comme le raconte le site Le Chronoscaphe, un enfer façon Martine : Satan fait le réveillon, Satan cuisine, Satan journaliste… Grand succès populaire, ces diableries sont des œuvres politiques et subversives qui se moquent ouvertement de Napoléon III.

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Mass média

Le Netflix (ou l’Instagram) du XIXe siècle

Inconnu

Des débuts tonitruants. Dès les années 1850, ce sont donc des millions de cartes stéréographiques et des centaines de milliers de visionneuses qui sont produites en série dans toute l’Europe. Londres et Paris, rappelle le site du Stéréopole, sont au cœur de cette industrie de la 3D. L’absence de brevets sur l’appareil rend sa copie et sa diffusion encore plus massives. Délesté de ses lentilles et de ses miroirs, le stéréoscope devient encore meilleur marché.

Un média de masse. Loin d’être une pratique culturelle réservée à l’élite, le stéréoscope va devenir le média de masse de la classe moyenne. Il y a désormais un stéréoscope dans chaque salon ou presque. On achète des coffrets d’images que l’on s’échange, on invite des amis, on organise des soirées. C’est Instagram ou Netflix dans la vraie vie.

Le monde par procuration. On se passionne pour l’histoire naturelle, on voyage par procuration dans l’Égypte des Pharaons ou dans les Alpes suisses, alors que le tourisme reste un loisir très onéreux. Il y a aussi des romans-photos, des scènes religieuses, des sketchs. Les progrès de la photographie, notamment la réduction des temps de pose et la qualité des tirages, accélèrent la qualité du rendu et son essor.

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EN IMMERSION

Une fenêtre sur le Japon moderne

T. Enami

Entre 1650 et jusqu’au milieu du XIXe, le Japon vivait isolé dans ce qu’on appelait alors le sakoku, « le pays fermé ». Avec l’ouverture sous l’ère Meiji, c’est le stéréoscope qui permettra au monde occidental de découvrir la vie quotidienne dans l’archipel. Notamment grâce aux images stéréoscopiques d’Enami, un photographe local. Diffusées à plusieurs millions d’exemplaires, dans les livres et les journaux, au Japon et aux États-Unis, ses photos colorisées participeront à la fascination des Européens pour le Japon.

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Le plan cul

Quand la stéréoscopie rime avec pornographie

Bruno Braquehais

Les « cochonneries ». À Paris, le nu photographique en 3D devient un genre très prisé. Plusieurs portraitistes de renom, comme Auguste Belloc ou Bruno Braquehais, se spécialisent dans la production de ces images dénudées, officiellement relativement sages. Mais ces mêmes artistes produisent clandestinement une très importante production de photographies pornographiques, des « cochonneries » réalisées avec des prostitué(e)s et très très crues (on confirme). Ces images étaient diffusées sous le manteau dans tout Paris.

Dans les Enfers. En 1860, la police fait une descente dans l’atelier d’Auguste Belloc. 5000 clichés licencieux sont saisis et le photographe pornographe écope de trois mois de prison. Une petite partie de ces images est stockée aujourd’hui dans l’Enfer de la Bibliothèque nationale de France. Ce lieu désigne l’endroit d’une bibliothèque où les documents les plus licencieux ou choquants sont archivés, sans accès au public.

À l'origine de l'Origine. Pour la petite histoire, il est très fortement probable que Gustave Courbet, ami de Belloc et grand amateur de stéréoscopie, ait été inspiré par ces images pour peindre en 1866 son « Origine du monde ».

EN IMMERSION

L’ancêtre du cadeau Bonux

Julien Darmoy

Vous souvenez-vous des cadeaux offerts dans les paquets de lessive à partir des années 60 ? Au début du XXe siècle, Julien Damoy était l’un des épiciers célèbres de Paris, et très connu pour son sens du marketing. Pour booster les ventes, il offre dans les boîtes de chocolats qu’il commercialise des cartes stéréoscopiques sur Paris qu’il fait réaliser pour l’occasion. Des monuments, des petits métiers, des scènes joyeuses, mais aussi plus tristement les zoos humains du Jardin d’Acclimatation. Et si vous aviez acheté suffisamment de boîtes de chocolat et grâce à un système de coupons, vous pouviez récupérer un stéréoscope gratuitement.

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Fin de la hype

Vie et mort d’une technologie

1925 A.C Co

Fin de la hype. Le problème des modes, c’est qu’elles lassent et qu’elles passent. De la même manière que la lanterne magique s’est faite détrônée par le cinéma, le stéréoscope va être délaissé à la fin du XIXe pour les cartes de visite, un phénomène nouveau qui pourrait être considéré, selon l’auteur d’une histoire de la photographie stéréoscopique comme l’ancêtre du selfie.

Le premier rebond. La photographie stéréoscopique va connaître un premier (gros) rebond au début du XXe siècle, notamment aux États-Unis. Deux producteurs d’images 3D, Underwood & Underwood et Keystone View Company vont se livrer une concurrence féroce pour produire des images dans le monde entier, jusque dans les coins les plus reculés. Mais surtout, les deux entreprises vont viser un nouveau public : les écoles.

Le View-Master. La guerre de 14-18 va marquer à la fois l’apogée artistique de la photographie stéréoscopique, mais également le début de son déclin industriel. Le second (et plus petit) rebond viendra d’un appareil que vous avez peut-être déjà eu entre les mains : le view-master, un jouet rouge qui fonctionne exactement sur le même principe. Commercialisé à partir de 1930, il connaîtra son heure de gloire dans les années 50 grâce à un partenariat avec Disney. Quant aux lunettes 3D au cinéma (coucou Avatar), elles n’ont jamais véritablement trouvé leur public.

EN IMMERSION

L’horreur et l’effroi en trois dimensions

Keystone, Underwood & Underwood

C’est paradoxalement au moment où l’engouement pour la photographie en stéréo s’essouffle que sont produites les images les plus marquantes. Durant la Première Guerre mondiale, des dizaines de photographes sont envoyés, tantôt par les états-majors, tantôt par les producteurs d’images, pour raconter ce terrible conflit. Des images nombreuses et crues, dans les tranchées, sur le champ de bataille et dans les hôpitaux, qui racontent en trois dimensions la violence de la guerre, la souffrance et la mort, l’attente aussi

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à picorer

🎸 Rock’n’roll. L’un des plus grands experts de la photographie stéréoscopique est Brian May, le guitariste du groupe Queen. Il possède une collection impressionnante. Il a ressuscité une institution culte dans l’industrie 3D du XIXe siècle, la London Stereoscopic Company. Rappelons que Brian May est un garçon aux talents multiples puisqu’il a aussi un doctorat en astrophysique.

📚 Littérature. Victor Hugo s’est fait photographier en 3D, à voir ici.

📽 Cinéma. C’est en regardant des images stéréoscopiques du Klondike que Charlie Chaplin eut l’idée de son film « La ruée vers l’or ».

📌 Histoire. Hitler a utilisé la photographie stéréoscopique pour nourrir la propagande nazie. Plusieurs milliers d’images 3D ont été produites par son photographe personnel.

🚀 Espace. La NASA a produit et continue de produire une grande quantité d’images en utilisant le même principe du stéréoscope. Simplement, l’écartement pour générer l’effet en trois dimensions est un peu plus grand que pour les photos ordinaires. Exemple ici avec la Lune.

Le mot de la fin

💻 Ressources et tuto. Il existe des centaines de ressources sur la photographie stéréoscopique. La Library of Congress américaine possède une impressionnante collection. Leur moteur de recherche, qui permet de chercher par pays, est très pratique. En France, le Stéréopole propose un site très riche, notamment via sa « Stéréothèque ». Le site Brooklyn Stereography propose plusieurs séries en anaglyphes (dont le carnaval de Nice), si vous voulez rentabiliser vos lunettes.

Enfin, pour vous amuser, le logiciel gratuit Stereo Maker Pro — un peu vieillot, mais très efficace — permet de transformer des vues stéréoscopiques en images anaglyphes, visibles avec vos lunettes.

Le mot de la fin

On ne pouvait pas finir sans un chaton mignon.